Off the beaten path

Dudelange – Le miroir au cadre noir

By Susanne Jaspers

Le Gehaansbierg (Johannisberg/Mont-Saint-Jean) et ses ruines enchantées ont réussi à effrayer John Malkovich

Gehaansbierg ? Voilà de quoi vous faire saliver ! « Gehaans », en luxembourgeois, cela fait bien penser à « pendu » ou « suspendu », enfin, à quelque chose qui ressemble au Gaalgebierg (« mont de la potence ») d’Esch, sur lequel au XVIIe siècle, on fouettait, décapitait et pendait avec zèle… « Mais non », diront certains Minettsdäpp du pays, comme pour la décevoir, à la visiteuse qui ne connaît ni l’endroit ni les potences, « cela n’a vraiment rien à voir avec de quelconques exécutions. Gehaans vient de Johannes et donc de Saint-Jean, il s’agit donc du Mont-Saint-Jean ou du Johannisberg, tel que le Gehaansbierg se nomme officiellement ». Les gens du pays vous apporteront tout de même quelque réconfort : « Ne soyez pas tristes, c’est hanté, là-haut, vous savez. » Ah, c’est donc ça ! On n’a plus qu’à y aller, alors !

Une aide divine dans votre escalade
Rue du Mont Saint-Jean, un panneau vous encourage. Il annonce que le sommet de la colline et les ruines du château qui y sont cachées ne sont qu’à dix minutes à pied (et on ne peut s’y rendre qu’à pied). C’est sans doute vrai, mais pas pour les paresseux. Le sentier entraîne le randonneur au milieu de la forêt par une pente assez abrupte. Si vous êtes à bout de souffle, vous pourrez espérer une aide divine : un chemin de croix en pierre vous indique le chemin. Une fois que vous aurez atteint le sommet, vous ne trouverez à première vue aucune trace des ruines de château. Au lieu de cela, une chapelle un peu de guingois attend l’alpiniste essoufflé. Malheureusement, la porte de la petite église est barricadée, le locataire d’ici-bas en paraît absent. Rien de surprenant, car le dernier ermite qui y a lu la messe a été aperçu en 1794. Passé la tour de guet et sa vue imprenable sur tout le Sud du pays (heures d’ouverture 1.5.-30.09 : lun-ven 7-19, sam/dim 10-19, 1.10.-30.04 : uniquement sur rendez-vous. Tél. : 516121-213) s’ouvre une large clairière, et la voilà : la ruine enchantée.

Ville de Dudelange

Le butin de Mansfeld…
Sur quelques barrières – il faut honorer la tradition sidérurgique du fer et de l’acier dans le Sud –, que l’usure a rendu chic, sont accrochés des panneaux qui fournissent une information sur ces morceaux de murs sans âge et vous conduisent à travers les installations en vous expliquant ce qu’il en était autrefois. On suppose que tout remonte aux Romains. Sur les vestiges effondrés au IVe siècle, deux tours de défense auraient été érigées au XIIIe, avant que les seigneurs de Dudelange aient eu l’idée de quitter la ville bien moins sûre pour s’installer en haut et agrandir la forteresse à cette fin. En vous promenant aujourd’hui dans les vestiges du château, vous pourrez comprendre avec un peu d’imagination qu’un « très célèbre château fort » occupait cet emplacement, ainsi que le prétendent les documents historiques. Une expédition punitive provenant de la ville de Luxembourg aurait défié ce qui était un « puissant fort » dans les années 1420, comme l’atteste un autre document. Cela ne lui a pas porté chance. Au milieu du XVe siècle, les Français attaquèrent le Château Fort à plusieurs reprises. En 1552, le gouverneur de Luxembourg de l’époque, Peter Ernst von Mansfeld, l’incendiera comme pour aggraver la situation. Après cela, il ne valait plus la peine qu’on le reconstruise. (C’est tout de même bien fait pour ce vieux Mansfeld, s’il ne reste quasiment plus rien non plus de son château de Clausen !)

Un terrain de jeux pour géants…
Mais où est-il donc hanté, ce château ? Bon, les briques qui gisent un peu partout donnent l’impression qu’un géant a joué à une sorte de Lego, puis qu’à un moment donné il s’est désintéressé de ce jeu. Mais on ne trouvera aucune trace de ce bonhomme visiblement peu doué pour le rangement. Qu’est-ce que c’est, alors ? Soudain, la visiteuse solitaire remarque un miroir encadré de noir au milieu des blocs de construction. Comment est-il arrivé ici ? Et surtout : qui s’en sert ? Serait-ce le miroir de poche de Madame Géante ? Ou bien appartient-il à une tout autre dame ? La légende raconte que la « Jongfra vum Gehaansbierg » (La Vierge du Gehaansbierg) vit ici, une noble femme qui était déjà relativement sauvage de son vivant et qui, après un mariage malheureux, aurait vécu recluse derrière les murs du château. Selon la légende colportée par les habitants des environs, qui regrettèrent beaucoup sa charité après sa mort officielle, elle ne serait pas morte, mais elle aurait été condamnée à hanter les lieux.

… ou bien une fosse aux serpents ?
Les théoriciens du complot sont divisés sur le reste de l’histoire. Pour l’essentiel, on s’accorde seulement sur le fait que la Vierge apparaît tous les sept ans dans la nuit du 1er mai pour se laver en robe blanche et se peigner – se sert-elle alors du miroir ? Si un jeune homme se présente à ce moment-là, elle le supplie de la délivrer. Mais attention, les garçons, il y a un hic : la nuit suivante, la fille soi-disant inoffensive apparaît sous la forme d’un serpent cracheur de feu avec une clé dans la gueule. Le jeune homme devra s’emparer de la clé et ce n’est qu’à cette seule condition que le sort sera rompu, il recevra alors la main du fantôme et ses prétendues richesses. Mais qui veut épouser quelqu’un qui ne s’est pas lavé depuis sept ans ? On ne sait pas si Willem Dafoe et John Malkovich, qui tournèrent ici en 2000 le film « Shadow of the Vampire », ont rencontré le fantôme, que l’on imagine plutôt malodorant. Cependant, Dafoe lui-même a un air si effrayant dans le film que même le fantôme du Gehaansbierg l’aurait probablement fui …

Susanne Jaspers

Données GMS : 49° 29’ 24.052’’ N / 6° 3’ 35.282’’ O